En Afrique, la première Convention sur l’élimination de la violence à l’égard des femmes et des filles
En Afrique, la question des violences contre les femmes et les filles se pose avec acuité. Malgré les instruments juridiques déjà existants, la persistance, voire l’aggravation de ces violences ont interpelé les États. 46 ans après la Convention des Nations Unies sur l’élimination de toutes les formes de discriminations à l’égard des femmes, et 20 ans après l’adoption du protocole à la charte africaine des droits de l’homme et des peuples (protocole de Maputo) sur les droits des femmes, l’Union africaine a jugé nécessaire d’actualiser le droit en vigueur. Il a été question d’adopter une convention spécifique, la toute première en Afrique pour mettre fin aux violences contre les femmes et les filles.
Adoptée lors de la 38ᵉ session de la Conférence de l’Union africaine à Addis-Abeba, la Convention sur l’élimination de la violence à l’égard des femmes et des filles (CEVAWG) vient enrichir le cadre juridique africain de protection des femmes et des filles contre toutes les formes de violences à l’égard des femmes et des filles. Que faut-il en retenir, en substance ?
Une convention ancrée dans les spécificités du contexte africain
Dès son préambule, la toute nouvelle convention se distingue par un diagnostic de la réalité des droits des femmes et des filles sur le continent africain. Elle reconnaît « que la violence à l’égard des femmes et des filles résulte de formes systémiques, multiples et interconnectées d’inégalité et de discrimination (…) qui continue d’avoir un impact et d’affecter toutes les femmes et filles en Afrique ». Certaines notions, rare dans les instruments juridiques classiques existants, font leur apparition dans le texte : les féminicides, les violences dans le cyberespace, les situations de conflit armé, de catastrophes naturelles et même les contextes post-catastrophes.
Contrairement au Protocole de Maputo (2003), qui aborde les droits des femmes dans une optique générale, le CEVAWG cible très spécifiquement la question des violences. L’article 7, par exemple, oblige les États à tenir compte des situations de vulnérabilité multiples : femmes âgées, handicapées, déplacées, réfugiées, victimes de catastrophes.
La prise en compte de la nature « intergénérationnelle », « évolutive » et « interconnectée » des violences avec d’autres formes d’inégalité et de discrimination est une avancée notable que même la Convention de Belém do Pará en Amérique, ou la Convention d’Istanbul en Europe n’intègrent pas avec autant de détails. Évidemment, cela se comprend, dans la mesure où en matière de droits humains, les nouveaux instruments sont censés s’adapter à l’évolution du droit et de la société.
Le vocable « masculinité positive », objet de controverse dans les milieux militants, a été également mobilisé par l’Union pour une approche qui engage les hommes et les garçons dans la déconstruction des normes violentes, sans doute dans le souci de faciliter le « faire humanité ensemble », philosophie de ce blog.
Une architecture normative articulée autour de la prévention, de la protection et de la justice
Le texte de la Convention sur l’élimination de la violence à l’égard des femmes et des filles propose une cohérence juridique et opérationnel aligné avec l’objectif des États partis. Cet objectif est décliné à l’article 2, qui érige en droit fondamental, le droit pour chaque femme et chaque fille sur le continent africain « d’être à l’abri de la violence ». Le dispositif précise que « ce droit est indivisible et interdépendant des autres droits humains et libertés fondamentales ».
Pour assurer la mise en œuvre de ce droit, Les États ont pris certains engagements, qui deviendront des obligations pour eux.
- Prévention (art. 10) : Les États doivent adopter des mesures législatives et des politiques publiques, interdire toute justification religieuse ou coutumière de la violence, et promouvoir activement « les valeurs et normes africaines positives ».
- Protection et soutien (art. 11) : Création de foyers d’accueil, accès à l’aide juridique, prise en charge psychosociale, ordonnances de protection, réinsertion. Ces mesures ne sont pas seulement évoquées ; elles sont normées, et impose des normes minimales.
- Accès à la justice (art. 12) : C’est sans doute l’un des articles les plus ambitieux. Il invite Les États parties à adopter et appliquer « des lois nationales qui garantissent une approche basée sur les victimes et un accès effectif à la justice et à la sécurité pour les victimes ».
Il faut noter également que l’article 5 contraint les États à intégrer la lutte contre ces violences dans leur législation pénale , avec des mécanismes d’enquête, de poursuite et de budgétisation fondés sur le genre. Le CEVAWG reprend ici la logique des conventions onusiennes.
Une convention juridiquement ambitieuse, politiquement dépendante de la volonté des États
C’est désormais un secret de polichinelle. La volonté des États est le code d’accès à la réalisation des engagements qu’ils prennent. Comme pour tout autres instruments juridiques de protection, la portée de cette convention dépendra de deux conditions. Il s’agit de la ratification et de la mise en œuvre effective. Sur le premier point, disposition classique, la convention prévoit l’entrée en vigueur seulement après sa ratification par 15 États membres (art.17). Dans un contexte où d’autres instruments majeurs (par exemple le protocole de Malabo) ont été adoptées depuis plusieurs années sans pouvoir entrer en vigueur pour défaut de ratifications, il revient aux différentes parties prenantes ici d’intensifier le plaidoyer et les actions stratégiques, en conséquence.
Par ailleurs, l’article 19 autorise la formulation de réserves, tant qu’elles ne contredisent pas l’objet de la Convention. C‘est une disposition à double tranchant. Elle constitue un instrument de diplomatie qui pourrait favoriser l’adhésion des États réticents, mais pourrait aussi affaiblir la portée de certaines protections, dans le cas où des États émettent des réserves.
Mieux, si le texte prévoit un mécanisme de suivi par la Commission africaine des droits de l’homme et des peuples et la Cour africaine des droits de l’homme et des peuples, on peut légitimement s’interroger sur leur capacité à assurer une telle protection. Car ne l’oublions pas, le système africain de protection des droits humains souffre du manque d’engagement des États, des retraits successifs des déclarations attributives de compétences, et d’une tendance au boycott des décisions rendues par les différents mécanismes. On a envie de demander aux États : Pourquoi adoptez-vous des instruments juridiques si vous ne voulez pas les respecter ? Et pourquoi vous engagez-vous si votre projet est de vous soustraire du contrôle subsidiaire ?
Pour ne pas paraître alarmiste, réjouissons-nous déjà de son adoption !
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