Droit à la santé ou charité ? Survivre par la pitié des autres au Bénin
Il ne se passe plus une semaine sans qu’un cri de détresse et d’appel au secours n’envahisse les réseaux sociaux au Bénin. Ces dernières semaines, le phénomène s’est particulièrement développé. Les réseaux sociaux sont devenus le moyen d’expression de la souffrance, et des compatriotes, souvent des jeunes, sollicitent la solidarité publique pour s’offrir le droit à la santé, les moyens d’une opération, d’une dialyse, d’une chimiothérapie ou d’une prise en charge spéciale à l’étranger.
Il faut penser à ce journaliste, terrorisé par l’insuffisance rénale, dont les images et les appels à l’aide circulent sur Facebook depuis plusieurs mois. Il faut penser à ce jeune albinos parti dans l’indignité. Il faut penser à cet autre jeune pour qui des fonds se mobilisent en ce moment, alors qu’il souffre, a-t-on dit, d’un cancer de sang. Et il faut penser à toutes ces femmes qui accouchent dans les hôpitaux, et qui y sont encore gardées, dans l’attente du règlement des frais de soins.
C’est une situation qui met à nu un dysfonctionnement systémique de l’État dans ses responsabilités, l’organisation et la garantie effective du droit à la santé pour tous. Si la constitution sacralise ce droit, la réalité oppose un sous-financement du système de santé, une insuffisance des dispositifs de protection sociale, et bien d’autres problèmes.
Tout béninois, en regardant cette situation, se pose la question suivante : le droit à la santé est-il effectivement garanti au Bénin ? Une lecture de la situation permet de diagnostiquer une mise en scène de la souffrance humaine propulsée par le désengagement de l’État.
La mise en scène de la souffrance humaine
À partir de l’exposition publique de la souffrance intime, contre la dignité de la personne humaine et dans un contexte de profusion d’engagements et de règles dépourvu de réalité, c’est la mise en scène de la souffrance humaine qui est finalement constatée.
Une exposition publique récurrente de la souffrance intime
Dans la souffrance aujourd’hui, le citoyen béninois ne semble plus être protégé par la puissance publique. Il doit désormais rendre publique sa souffrance pour espérer survivre. Le citoyen dont on parle ici, ce n’est pas le capitaliste, l’homme ou la femme d’affaires, le directeur de banque ou l’avocat. C’est le maçon, la couturière, la vendeuse du marché, l’étudiant, le fonctionnaire à bas salaire. C’est celui ou celle qui n’est pas pris en compte dans les mécanismes de l’État, pour qui le moindre examen médical est un luxe inaccessible. C’est le citoyen ordinaire que l’État béninois laisse seul face à la maladie, à la douleur et parfois à la mort.
Même si les solidarités se manifestent de manière assez surprenante sur les réseaux sociaux face à la demande, il demeure que le problème est profond.
L’assurance maladie reste embryonnaire, malgré la volonté politique affichée. La Couverture sanitaire universelle, bien qu’évoquée dans des politiques publiques, peine à se concrétiser efficacement. Par exemple, selon le gouvernement, le projet « Assurance pour le Renforcement du Capital Humain (ARCH) » du programme d’action du gouvernement dont l’une des composantes prévoit, à travers, l’accès aux services de santé pour tous, a prévu la prise en charge par l’État de l’assurance maladie de 4,3 millions de béninois. Ce projet lancé en 2018 est censé se généraliser entre 2022 et 2025.
Mais où se trouvent ces mécanismes quand des béninois et des béninoises, face à la violence de la maladie, dans le renoncement à leur vie privée et à leur intimité, se trouvent obligés de se tourner vers des appels à l’aide ? Pourquoi les vies de femmes et d’hommes de ce pays doivent-elles dépendre de la pitié ou de la solidarité par les transferts mobiles money ?
Une profusion d’engagements privés d’effectivité
Le droit à la santé, droit créance, appelle, pour sa réalisation, une intervention, une implication et une prestation positive de la part de l’État. L’article 8 de la Constitution du Bénin prévoit que « L’État veille à la santé physique, morale et mentale de la population ». Ce droit est renforcé par l’article 12 du PIDESC, ratifié par le Bénin, qui impose à l’État de « garantir à tous les soins médicaux en cas de maladie ». De même, l’article 14 de la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples exige des États qu’ils assurent la protection de la santé de leurs peuples.
S’il est vrai que le droit à la santé doit être mis en œuvre, en matière d’obligation pour les États, de manière progressive, en raison des ressources disponibles, le droit international n’exige pas moins d’obligations aux États avec effets immédiats. Selon les observations générales 14 du comité des droits économiques et sociaux, les États doivent assurer une réalisation aussi rapide et efficace que possible, sans possibilité de régression, en tenant compte des vulnérabilités des bénéficiaires du point de vue économique, sociale et physique, sans s’y limiter, et ce, à toutes les étapes des politiques publiques.
En ratifiant cet instrument, le Bénin a donc pris l’engagement de respecter, de protéger et de mettre en œuvre le droit à la santé, sans discrimination aucune. Pour insister sur le dernier aspect, la mise en œuvre, il est important de noter qu’il implique pour l’État d’adopter toutes les mesures appropriées d’ordre législatif, administratif, budgétaire, judiciaire, incitatif ou autre pour en assurer la pleine réalisation.
Pour traduire ces obligations en des actes concrets, l’Organisation mondiale de la Santé, dans la droite ligne de la mise en œuvre des indicateurs 3.8 des Objectifs de développement durable, a mis en place la notion de couverture sanitaire universelle.
Une bactérie de dispositions juridiques n’est-ce pas ? La seule conséquence qu’on peut valablement tirer, c’est celle du manquement de l’État à ses engagements. Mais alors, pourquoi cet état de chose ?
Le désengagement de l’État
Le manquement aux engagements librement pris par l’État traduit une certaine démission à laquelle il faut répondre sans attendre.
Une contradiction entre les engagements et les faits
Nous sommes face à une inégalité structurelle qui appelle d’urgence la remise en contexte de la justiciabilité du droit à la santé dans le pays. Le modèle économique béninois entretient une inégalité sanitaire dont les signes visibles sont justement les appels à l’aide qui se multiplient.
Pour dire vrai, le système de santé béninois reste à deux vitesses. D’un côté, il y a une minorité qui accède à des soins pris en charge par l’État, ou qui a les moyens de s’offrir des soins privés ou encore une évacuation sanitaire à l’étranger. De l’autre côté, on a une majorité laissée à elle-même, composée des classes ouvrières, des chômeurs, des jeunes, des étudiants, des personnes âgées et d’autres catégories de personnes. Ce fossé est principalement entretenu par l’absence d’une assurance maladie effective pour tous, la précarisation du personnel soignant et des structures publiques et la faiblesse des allocations budgétaires accordées au secteur de la santé.
Selon un récent rapport de L’UNICEF, le Bénin fait partie des États qui allouent le moins de ressources au secteur sanitaire. La part du budget de l’État allouée au secteur de la santé est en chute libre depuis 2016. De 7,6% en 2016, le budget est passé à 5% en 2019, et est descendu à 4,8%, selon le rapport d’exécution de la loi de finance 2024. Ainsi, depuis 2016, le Bénin n’a jamais réussi à respecter le minimum de 15% du budget national à allouer au secteur de la santé selon l’accord d’Abuja.
Les notes d’analyses des budgets élaborés par diverses agences des Nations unies sur le Bénin, dont notamment celles de l’UNICEF, montrent que la majeure partie du budget du secteur de la santé est consommée par les dépenses de personnel et les dépenses administratives.
Un changement attendu
Au regard de tout ce qui précède, il se dégage de la politique actuelle de l’État en matière sanitaire, une individualisation des risques, contre l’institutionnalisation de la solidarité nationale attendue de l’État. C’est manifestement une atteinte au droit fondamental que constitue le droit à la santé, dont la réalisation conditionne largement la réalisation d’autres droits.
Les autorités doivent davantage renforcer les mesures de toutes natures afin que la santé des personnes, et notamment celle des personnes devenues trop vulnérables en raison de la maladie, puisse jouir du soutien vital de l’État. Le Parlement a un rôle à jouer. L’Exécutif également. Nous devons donc passer d’un droit proclamé à un droit concret, exigible et exigé.
La société civile doit continuer à veiller, pour que les engagements librement pris par l’État trouvent leur réalisation, grâce à l’action de toutes parties prenantes. Mais encore, le citoyen doit aussi s’inscrire dans la dynamique de la mobilisation des différents mécanismes de réclamation de ce droit. Le contentieux stratégique offre, sur ce terrain, des perspectives intéressantes qui ont déjà fait leurs preuves ici et ailleurs.
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Très bon constat. Merci d’en parler